MICK JAGGER – ASTON MARTIN DB6 : SYMPATHY FOR THE ASTON

Ce n’est pas l’envie de tirer la langue qui a dû lui manquer. Pourtant, ce 28 août 1966, l’irrévérencieux Mick Jagger ne fait pas le malin. Le motard de la police en train de dresser la contravention n’a pas l’air commode, et, dans la voiture à la portière froissée, Chrissie Shrimpton ne semble guère de bonne humeur. Et que vient donc faire ce photographe, alors que la star des Rolling Stones se fait sermonner ? L’Aston Martin DB6 bleu marine est écorchée vive après un accrochage avec la petite Ford Anglia de la comtesse de Carlisle, sur Great Titchfield Street. Le chanteur a emménagé quelques mois auparavant dans ce quartier de Marylebone alors en vogue. Il faut dire qu’à partir de 1966, les Rolling Stones ne se refusent plus rien. Paint It, Black , avec ses audacieux sons de sitar lui offrant une texture exotique et abrasive, leur a définitivement ouvert les portes du succès. Leurs titres du moment caracolent dans les hit-parades. De quoi avoir bien des satisfactions. Et le train de vie tapageur qui va avec le statut d’idoles des jeunes. Quelques semaines après l’accident, Mick Jagger déclare au Sunday Mirror : « J’ai déjà eu une Aston Martin, une Mini Cooper et même une autre Mini. Désormais, j’ai envie d’une Rolls-Royce d’avant-guerre. » Qui a dit « You can’t always get you want » (On ne peut pas toujours obtenir ce qu’on veut) ? 1966 est une année charnière, celle de la pleine montée en puissance des Rolling Stones, tandis que les Beatles, leurs seuls vrais rivaux, vont peu à peu amorcer la pente du déclin. Tout va changer. L’ambiance est aussi électrique que les guitares. Le 15 avril 1966, Time Magazine met la capitale britannique à sa une et inaugure l’expression “Swinging London”. Le travailliste Harold Wilson gagne les élections et reste à Downing Street. La peine de mort vient d’être abolie. Les jupes des filles continuent de raccourcir, les cheveux des garçons s’allongent. Evelyn Waugh préfère mourir avant qu’il ne soit trop tard. Un certain David Jones décide de se faire appeler Bowie. Tandis que des radios pirates inondent les ondes depuis des plateformes en mer, la Barclays lance la première carte de crédit du Royaume-Uni. Tout va plus vite. Certains contrastes sont appelés à devenir flous. Devant la caméra de Michelangelo Antonioni, David Hemmings cherche une vérité en cabriolet Chinese Eyes dans Blow-Up.

GT des aristocrates, l’Aston est une consécration pour les rockeurs trublions en quête de reconnaissance sociale.

Avec la Rolls-Royce Continental, en 1966, la DB6 est parmi ce qui se fait de mieux dans la production automobile. Succédant à la brève mais remarquée DB5, la DB6 a été lancée au London Motor Show de l’automne 1965. Plus confortable, plus spacieux, le nouveau coupé présenté par David Brown joue pleinement la carte du grand tourisme élégant et sportif pour prolonger encore un peu une ligne apparue en 1958 avec la DB4. Son pavillon relevé et ses proportions revues permettent réellement à la DB6 d’accueillir quatre passagers et leurs bagages, dans une ambiance douillette. Si la climatisation et la direction assistée sont encore en option, les vitres électriques, et un certain nombre d’autres raffinements, sont de série. Parmi les différences visuelles notables avec les modèles précédents, outre les pare-chocs séparés, la DB6 abandonne l’arrière fastback au profit d’un arrière distinctif en Kammback, plus aérodynamique, extrapolé des travaux de Wunibald Kamm et adopté par Aston Martin pour certains de ses prototypes de course, notamment DP 215. Cette poupe tronquée, adoptée par de nombreuses autres sportives, comme la Ferrari 275 GTB, l’Iso Grifo ou l’Alfa Romeo Montreal, assure une plus grande stabilité à grande vitesse. Sur ce point, le coupé britannique n’a rien à envier aux bolides transalpins : alimenté par trois carburateurs SU, le six cylindres 4 Litres conçu par Tadek Marek, accouplé à une boîte de vitesses ZF à cinq rapports, développe gaillardement 282 chevaux, de quoi tutoyer allègrement les 245 km/h. Son prix de vente (5 084 £ dans sa version standard) achève d’en faire une auto particulièrement exclusive. Pour comparaison, en 1966, alors que la livre sterling a été récemment dévaluée, une Rolls-Royce Silver Shadow est facturée 5 425 £ et une Ford Cortina autour de 700 £. Si elle n’est évidemment pas à la portée de tout le monde, la DB6 n’est pas la voiture de n’importe qui. D’autant plus que la marque a accédé en quelques années seulement à une nouvelle forme de notoriété. Si la clientèle de la DB4 était essentiellement composée d’aristocrates et d’industriels, l’adoption d’une DB5 par James Bond va donner au constructeur de Newport Pagnell une autre visibilité. Stars de Hollywood et chanteurs de rock vont commencer à se disputer ce nouveau symbole social, tout autant que les altesses royales.

En Grande-Bretagne, les Beatles ouvrent le bal, bien sûr.

Baby, you can drive my car. .. En septembre 1964, la DB5 de Paul McCartney (DB5/1653/R) était Sierra Blue et équipée d’un lecteur de disques Philips Auto-Mignon. Il la conservera jusqu’en 1970. En janvier 1965, celle de George Harrison (DB5/1896/R) sera blanche. Dès le mois de mars 1966, Paul McCartney s’offre une deuxième Aston Martin : un coupé DB6 de couleur Goodwood Green. Pour le jeune Mick Jagger, 22 ans à peine, c’est une évidence, il lui faut aussi cette voiture luxueuse et puissante. Dix ans plus tôt, un garçon comme lui, ne venant pas de l’élite, n’aurait jamais osé prendre le volant d’un tel véhicule. Les regards commencent à changer et Mick Jagger veut accélérer le mouvement. Sans fausse pudeur, c’est volontiers qu’il accepte de prendre la pose sous l’objectif de Gered Mankowitz. Juste sorti de l’adolescence, le jeune photographe est un familier des Rolling Stones. Dans la cour d’un “mews” en travaux, aux façades drapées d’échafaudages à la manière d’un studio, Mick Jagger, d’humeur légère et joyeuse, en blazer rayé tennis, large cravate foulard à motifs et pantalon “pattes d’eph”, se prête avec complicité à la séance promotionnelle aux côtés de son nouveau jouet, la DB6 bleu marine flambant neuve, immatriculée KJJ 4D. Debout sur le seuil de porte, ou dans le coffre, il multiplie les combinaisons, puis s’assied en tailleur dans son blazer rayé tennis. La moue est boudeuse, l’attitude est nonchalante, le regard est un rien arrogant et narcissique : c’est dans la boîte. Le cliché fera le tour du monde et ancrera définitivement Aston Martin dans la pop culture du XXe siècle. Plébiscitée par les Beatles, la DB6 sera adoptée par le chanteur des Rolling Stones avant le prince Charles.

Galerie de l’instant

Vous pourrez voir également d’autres photos de Mick et de ses copains à la Galerie de l’instant, en plein cœur du Marais à Paris qui expose les plus grands photographes de stars de Dominique Tarlet à Terry O’Neill en passant par Milton Greene. Delon et Romy, Marylin Monroe, Brigitte Bardot, Steve McQueen et bien d’autres ont trouvé comme écrin l’élégante galerie de Julia Gragnon, qui accueille en ce moment jusqu’au 2 octobre un shooting de Madonna réalisé par Kenji Wakasugi en 1985. D’autres expos sont au programme dans les galeries de Nice et Saint-Rémy-de-Provence (programme sur lagaleriedelinstant.com). La Galerie de l’instant : 46 rue de Poitou, 75003 Paris. Tél. : +33 (0)1 44 54 94 09

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